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In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? (Monographies Instrumentum 3X), Chauvigny 2007, p. 231-237 Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai typologique Émilie ALONSO L’étude entreprise sur les médaillons en bois de cerf a permis de faire la synthèse des médaillons mis au jour dans une zone géographique limitée au quart nord est de la Gaule romaine. À la différence de nos voisins européens, les médaillons en bois de cerf français n’ont fait l’objet d’aucune étude précise depuis plus de vingt ans. À travers l’analyse du travail du bois de cerf, des formes et des décors, nous tenterons de dresser un bilan sur ce type de mobilier. (1) Le travail du médaillon Seule l’analyse des traces laissées par les outils sur les médaillons peut nous donner des éléments de restitution de la chaîne opératoire des artisans tabletiers. L’archéologie expérimentale nous donne des indications sur le travail du bois de cerf, mais aucun outil n’est véritablement attesté (Picod 2004 ; Barbier 1988). Le bois de cerf ne peut vraisemblablement se travailler que frais ou s’il a été préalablement trempé (Mac Gregor 1985, 245). Dès lors, différentes phases de travail se succèdent : le débitage, le tournage, le forage ainsi que la réalisation d’un décor dans certains cas. Le bois de cerf Le médaillon fait partie intégrante de l’anatomie du cerf. Chaque année, au printemps, les bois tombent naturellement et une phase de repousse des nouveaux bois commence. Elle dure environ quatre mois. En se fondant sur ces quatre étapes de travail, différentes catégories de médaillons peuvent être distinguées ; certains ont subi toutes les phases de travail, d’autres seulement quelques-unes. Les bois prennent naissance à la meule, sur le crâne de l’animal. Ils sont constitués d’un merrain et d’une tige centrale d’où se dégagent les andouillers. À partir de l’ensemble constitué par les quinze médaillons mis au jour sur le site d’Alésia et à l’aide des médaillons découverts sur les autres sites de Gaule de l’Est, il a été possible de définir une typologie. Celleci s’appuie notamment sur les travaux effectués par les spécialistes suisses et allemands sur les sites de Mayence (Mikler 1997, pl. 9, 10, 11), de Augst (DeschlerErb 1998) ou encore de Nida-Hedernheim (Obmann 1997). Le médaillon est l’élément qui relie la tête de l’animal aux bois. Les vaisseaux sanguins qui irriguent les bois, passent par le médaillon et lorsque les bois tombent, cette partie se détache de la tête et forme l’extrémité du bois. Un médaillon issu d’un bois de mue est donc naturellement bombée et formée d’une pierrure sur le pourtour, composée de petits trous laissés par les vaisseaux sanguins. Un médaillon peut également être prélevé sur un animal tué, il est alors issu d’un bois dit de massacre et présente des traces de sciage sur ses deux faces. Analyse des indices attestant l’artisanat sur quelques médaillons Le bois de mue et le bois de massacre constituent donc les deux seuls modes d’acquisitions du bois de cerf. Grâce à l’analyse de certains médaillons et à l’interprétation des traces récurrentes laissées par l’utilisation d’outils ou de méthodes précises, il est (1) Université Paris-Sorbonne (Paris IV) ; contractuelle au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, 19 rue du lycée, 25000 Besançon ; emilie-alonso@wanadoo.fr 231 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? possible de restituer le processus de fabrication des objets, en particulier la manière dont ils ont été débités puis mis en forme. de sciage ainsi qu’un décor composé de deux cercles. La pierrure n’est plus visible ce qui n’est pas caractéristique des médaillons tournés. Médaillon de Langres (fig. 1) La fabrication de cet objet semble avoir été interrompue si on se fie à l’état de la pierrure ou au décor non détaillé des deux faces. Cette pièce n’a pas dû être utilisée comme elle devait l’être initialement. Le mobilier de Langres a été mis au jour en contexte urbain. Le médaillon Langres 06 est un médaillon brut et complet. Il est intéressant pour la présence d’importantes traces de sciages sur sa face supérieure. Dimensions : 54 x 45 mm. Épaisseur maximum : 9 mm. La partie inférieure, présente un cœur spongieux d’où se développe une large pierrure. Un ajourage a été foré en périphérie grâce à la juxtaposition de deux trous. Le pourtour de celui-ci est particulièrement usé. Médaillons de la forêt de Compiègne La forêt de Compiègne se situe dans l’Oise, au nord-est de Paris. Les médaillons sont généralement issus des fouilles d’Albert de Roucy entreprises sous le règne de Napoléon III. Les circonstances de découvertes ne nous sont pas parvenues et le type de site n’est pas précisé. La partie supérieure a été débitée par un sciage réalisé en deux temps. Deux angles d’attaques de la lame sont visibles ainsi que plusieurs traces plus petites sur l’ensemble de cette face. Les traces permettent de noter une inversion fréquente de l’axe de sciage. Cinq médaillons découverts dans des endroits différents de la forêt de Compiègne sont conservés au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-enLaye. Cet ensemble est intéressant car il contient deux pièces uniques pour lesquelles nous n’avons pas de parallèle sur les sites de l’est de la Gaule. Dimensions : 72 x 64 mm. Épaisseur maximum : 16 mm. Diamètre du trou : 7 mm. Le médaillon Compiègne 01 (fig. 3) Médaillon d’Alésia (fig. 2) Complet, la face inférieure a été tournée. Le décor se compose de plusieurs cercles concentriques formant une alternance entre les moulures arrondies et les gorges en V autour d’un trou de poupée. Quatre trous ont été forés sur la périphérie de l’objet, dont un plus grand que les trois autres. L’un de ces trous a été foré en oblique, dans la pierrure. Tous les trous présentent de légères traces d’usure sur leur contour. Le mobilier d’Alésia a été mis au jour sur l’agglomération gallo-romaine située sur le MontAuxois. Le médaillon Alésia 15 provient des fouilles anciennes de V. Pernet en 1869. Ce médaillon tourné et complet, provient très certainement d’un bois de massacre d’après les traces de débitage par sciage laissées sur chaque face. La partie inférieure est plane et possède de nombreuses traces de sciage ainsi que quelques traces d’outils. Cette face a donc été sciée, aplanie puis tournée. On discerne un décor de trois cercles concentriques autour d’un petit trou de poupée. La face supérieure a été débitée par un sciage régulier marqué de stries parallèles. Cette face, présente une inscription qui donne un caractère exceptionnel à ce médaillon. L’inscription a été reportée dans le C.I.L. XIII sous la forme : C.C.C.I.C. / A.C.B.M.I I. / V. ; mais elle demeure sans interprétation (référence Une volonté de supprimer la pierrure est identifiable d’après les stries régulières laissées par la lame de la scie. La face supérieure de l’objet possède également plusieurs traces 232 E. Alonso – Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai typologique exacte dans le CIL ???). Quelques traces de sciage sont encore visibles. . Les médaillons sculptés à décors figuratifs regroupent tous les types de représentions figuratives de type phallique, anthropomorphe ou animalier. Les médaillons de ce type sont caractéristiques des nécropoles (fig. 6 Besançon), des camps militaires romains implantés notamment à Strasbourg et sur les sites du limes Rhénan. Un exemplaire unique a été découvert dans le sanctuaire des Sources de la Seine (fig. 6). . Les médaillons sculptés à décors géométriques regroupent les médaillons dont le décor est caractérisé par de petits cercles oculés, rosaces ou encore formés d’entrelacs. Ces médaillons se retrouvent en contexte de nécropole et de zones de dépotoirs (fig. 6 - Langres). L’absence d’informations liées au contexte de l’objet ne permet pas d’avancer d’hypothèses quant à sa fonction. Dimensions : 71 x 61 mm. Épaisseur maximum : 17 mm. Diamètre des trous : de 0,9 à 0,6 mm. Le médaillon Compiègne 02 (fig. 4) Complet, la face inférieure a été tournée. Le décor se compose de moulures arrondies et d’une fine gorge en V disposées autour d’un trou de poupée central. Celui-ci est entouré d’une couronne cylindrique. Quatre trous ont été forés sur la périphérie de l’objet, groupés deux par deux et diamétralement opposés. Ils présentent de faibles traces d’usure. Chacune de ces quatre catégories est subdivisée en fonction du nombre de trous forés dans les médaillons. La grande majorité des médaillons étudiés sont des médaillons bruts. Ils possèdent souvent un trou central ou périphérique. La catégorie de médaillon où le plus grand nombre de trous ont été forés est celle des médaillons tournés. Les médaillons tournés concentrés dans l’est de la Gaule comportent souvent quatre trous dont les traces d’usures sur les pourtours sont très nettes. Les médaillons sculptés à décors figuratifs ont souvent plus de trous que les médaillons sculptés à décor géométrique dont la plupart présentent un trou unique en périphérie. La face supérieure ne présente pas de traces d’outils mais en revanche elle a la particularité de porter 3 trous non perforants de 4 mm, utilisés certainement dans un but pratique et technique afin de fixer l’objet sur le plateau du tour. Il est possible de constater que les décors varient en fonction des époques. C’est la raison pour laquelle, les décors figuratifs sont dissociés des décors géométriques dans la typologie. Dans ce cas, ces trous attesteraient de l’utilisation du tour à archet, notamment du mode de fixation du médaillon sur le tour, ce qui validerait l’hypothèse de restitution du tour à archet émise par C. Picod (Picod 2004, 71). Les décors figuratifs de type phallus semblent dater de la période romaine alors que les médaillons dotés d’une ornementation géométrique se rapprochent des périodes mérovingienne et carolingienne. Dimensions : 71 x 60 mm. Épaisseur maximum : 10 mm. Diamètre du trou : 6 mm. Les décors de rosaces ou de cercles oculés sont réalisés au compas à pointe sèche sur une surface extrêmement plane et étendue. La suppression de la pierrure sur les médaillons sculptés à décors géométriques apparaît également typique du haut Moyen Âge. Cette pratique semble commencer dès la fin de la période romaine, notamment sur des médaillons à décor phallique réalisé en relief (fig. 5 : Besançon 01, Langres 03). La typologie (fig. 5) L’étude des médaillons a permis de dégager quatre grandes catégories : . Les médaillons bruts présentent une partie supérieure, naturellement bombée dans la plupart des cas. Ces médaillons se retrouvent en plus grande quantité et dans tous types de site (fig. 6). . Les médaillons tournés, dont le décor se compose de cercles concentriques, de fines gorges et de bombements. Ces médaillons proviennent souvent d’agglomérations gallo-romaines, notamment de secteurs d’habitats privés et de zones de dépotoirs (fig. 6 - Alésia, Langres). Dans l’état actuel de la recherche, ces éléments ne constituent que des hypothèses car il ne semble pas exclu qu’un décor puisse perdurer dans le temps. De plus, l’absence de contexte de découverte précis pour la plupart de ces objets ne permet pas de confirmer la 233 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? Fig. 5 – 234 E. Alonso – Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai typologique Fig. 6 – 235 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? pertinence de cette hypothèse. Enfin, cette étude correspond à une zone géographique limitée qu’il faudra élargir à l’ensemble de la province par la suite. Barbier 1989 : M. Barbier, Les objets en os du site des Halles à Langres. Contribution à l’étude de la tabletterie gallo-romaine. Apport par l’archéologie expérimentale. Langres 1989. Béal 1983 : J.-Cl. Béal, Catalogue des objets de tabletterie du musée de la civilisation gallo-romaine de Lyon (Centre d’études romaines et gallo-romaines de l’université Jean Moulin Lyon III, Nouvelle série n°1), Lyon 1983. Conclusion Le travail et les décors réalisés sur les médaillons en bois de cerf sont caractérisés par les traces d’outils laissés sur chacune des faces. Le manque cruel d’informations lié au travail de ces objets ainsi que des contextes de découverte souvent inexistants, ne nous permet pas d’assurer que les tabletiers aient fabriqué de façon exclusive de ces médaillons. En effet, il est possible d’envisager l’intervention de personnes extérieures à cet artisanat à différentes phases de la réalisation du médaillon, en particulier lors de l’acquisition du bois et de la réalisation du décor. Billanboz 1979 : A. Billanboz, Les vestiges en bois de cervidés dans les gisements de l’époque Holocène. Essai d’identification de la ramure et de ses différentes composantes pour l’étude technologique et l’interprétation paléoethnographique. In : Industrie de l’os néolithique et de l’âge des métaux, Paris 1979, 93. Coulon 2004 : G. Coulon, L’enfant en Gaule romaine, Paris 2004. Deschler-Erb et al. 1991 : E. Deschler-Erb, M. Peter, S. Deschler-Erb, Das frükaiserzeitliche Militärlager in der Kaiseraugster Unterstad (Forsch. in Augst 12), Augst 1991. L’analyse des traces d’usures présentes sur les trous nous renseigne alors sur les différents modes de suspension du médaillon. Celui-ci pouvait être fixé sur une paroi, porté autour cou (présence d’un trou), cousu sur des vêtements ou encore maintenu par plusieurs liens autour du corps (présence de plusieurs trous). Deschler-Erb 1998 : S. Deschler-Erb, Römische Beinartefakte aus Augusta Raurica. Rohmaterial, Technologie, Typologie und Chronologie, Katalog (Forsch. in Augst, 27), Augst, 1998, 2 vol. Il est également possible de supposer que certains d’entre eux aient été transportés dans des poches ou des bourses (Béal 1983) lorsqu’ils ne présentent aucun trou mais des traces d’usures caractéristiques de frottements. Deyts 1994 : S. Deyts, Un peuple de pèlerins : offrandes de pierre et de bronze des Sources de la Seine (13e supplément à la RAE), Dijon 1994. L’ensemble de ces constatations permet d’envisager un rôle de protection prédominant pour ce type de mobilier. Enfin, l’existence d’une iconographie galloromaine représentant vraisemblablement des médaillons ainsi que la symbolique générale du cerf durant les périodes historiques insistent également sur le rôle probable de talismans pour les médaillons en bois de cerf. Gérold 2000 : J.-C. Gérold, Réalisation d’un trépan à archet, Bulletin Instrumentum 12, 2000, 27-28. Grapin 1990-1992 : C. Grapin, Le matériel de tabletterie d’Alésia. Contribution à l’étude de l’industrie de l’os en Bourgogne à l’époque gallo-romaine. Mémoire de Maîtrise d’archéologie, Dijon, Université de Bourgogne, 1990 - 1992, 2 t., 188 p. Grapin 2005 : C. Grapin, L’artisanat de l’os et de la corne. Dossiers d’archéologie n° 305, juillet-août 2005, 116-119. Bibliographie Guilhot 1992 : J.-O. 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